"Il faut casser les formes pour permettre à la lumière de les visiter toutes, pour tuer la surface à peindre en même temps que la respecter"
Jean Messagier, Journal, 1956
La galerie Catherine Putman est heureuse de présenter une nouvelle exposition de Jean Messagier. La précédente, organisée en 2018, s'était attachée aux truculentes années 70 et 80, la peinture à la bombe, le fluo, les « gels ». Cette fois, remontant le temps, l'exposition réunit des oeuvres réalisées dans les années 50 et 60 : aquarelles, monotypes, dessins et gravures.
Jean Messagier (1920-1999) a une oeuvre importante, protéiforme, variée, où plusieurs périodes se distinguent - pluralité de styles qui a déconcerté certains - mais il s'agit toujours de nature, de vie et de poésie. C'est une oeuvre sans cesse en mouvement et en métamorphose.
Jean Messagier a commencé à peindre, dessiner, graver et exposer dès le milieu des années 40. Au début des années 50, il installe son atelier et sa famille, dans le Doubs, à Colombier-Fontaine, tout en exposant de plus en plus à Paris et à l'étranger.
Il développe une peinture construite mais aux contours flous, une peinture de paysage mais sans convention. L'aquarelle, non titrée, datée de 1955, aux tons verts et jaunes, illustre cette recherche de la lumière sans ombres, comme atmosphérique.
Messagier parlait de « recherche d'apesanteur ». Saisons, vallées, rivières, collines sont les thèmes de cette nature géologique et respirante dans laquelle il évolue, et qu'il cherche à transmettre par l'art.
Ces paysages stylisés se retrouvent aussi dans les gravures réalisées à l'aquatinte : "Entre les blés" (1952), "Les grandes journées" (1953), "Inondations rectilignes" (1956). "Marais salant", petit croquis à l'encre de 1954 esquisse une de ces formes paysagées, avec la rapidité du geste et la simplification qui prévalent aussi dans ses dessins quotidiens.
Une grande aquarelle aux teintes subtiles de 1957 préfigure les évolutions qui vont par la suite gagner le geste pictural de Messagier. La peinture des années 60 se caractérise par ses enroulements et ses volutes. Sujets et motifs sont moins identifiables. Les titres poétiques (qui à partir de 1963 figurent sur les oeuvres elles-même) s'inscrivent comme des intentions de départ vers lesquelles essaie de tendre l'artiste : "Retourneurs d'automne", "Paraphe d'été", "Signature du mois d'août", "Campagnols d'hiver".
Le geste se fait ample. L'aquarelle ou les pastels colorés envahissent la surface du papier, en gravure il revient à la pointe sèche avec un geste libéré dont il fait un style propre. L'élan vital de l'art éclate. Cette nature qui l'environne, il la ressent et la retranscrit dans son travail comme s'il la respirait.
L'exposition fait la part belle aux oeuvres sur papier, à travers le fonds de dessins et gravures constitué par une longue collaboration entre l'artiste et Jacques et Catherine Putman qui l'ont ardemment défendu. Jacques Putman a édité nombre de ses gravures et établit le catalogue raisonné de l'oeuvre gravé.
Messagier, qui aimait la gravure pour le plaisir de la ligne et du trait, a aussi réalisé de nombreux monotypes dans lesquels il se libérait des contraintes techniques et dont il aimait les effets de surprise. « Un monotype pour moi c'est une récréation, une fuite de la morsure de l'acide sur le métal qui m'impressionne ; voir l'acide pénétrer le cuivre me traumatise toujours, me trouble. Le monotype était exactement à mi-chemin entre la gravure et la peinture. »(1) Les trois monotypes ici présentés montrent l'alliance de cette grande maitrise et de cette liberté.
(1) extrait de l'entretien de Jean Messagier, avec Daniel Meiller et Patrick Le Nouene dans «Messagier, les estampes et les sculptures, 1945-1974», Yves Rivière, Arts et Métiers Graphiques, Paris, 1975. Page 19- 23
Campagnols d'hiver
20 Mars - 22 Mai 2021